TRAVERSE

édito février 2013 – Eric Durnez

édito février 2013 – Eric Durnez

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Les chiens de faïence avec méfiance sont réputés se regarder. Les humains de faïence sans défaillance désirent, en secret ou en plein jour pour les plus audacieux, les naïfs, les infernaux, se reluquer, se renifler, se rejoindre. Il faut en vaincre des terreurs, il faut en passer des digues pour seulement s’avouer, réadmettre l’ancestrale propension à l’assemblée.

Les hauts murs de nos maisons,

les haies d’épicéas formant double rempart,

la fenêtre en trompe l’œil qui étale sur nos cervelles sa laque opaque, électron balayant à la vitesse de la non-pensée un rectangle plat qui nous obscurcit de sa lumière blafarde, nous masse les neurones, les maintenant sous vibration constante, histoire de brouiller les ondes du réel, propageant ses craintes, ses haines, ses rabougrissements simplificateurs, ses émotions ajustées, ses exploits trafiqués, sa logorrhée narcotique,

notre épuisement physique et psychique après le travail,

les atrophies consenties depuis la maternelle,   

bien d’autres choses encore

font ou voudraient faire barrage au geste primordial d’aller à la rencontre, de se montrer curieux, de se réunir, de se risquer à l’autre.

Calfeutrés dans un redoutable confort qu’on nous a labélisé libération mais qui s’est avéré verrou, nous peinons à vaincre l’engourdissement du désir, à surmonter la terreur maligne des corps vivants, de l’étrange étranger dont nous fuyons l’imprévisibilité parce que nous pensons ne plus parvenir à le déchiffrer, à le reconnaître, parce qu’avant même qu’il ait ouvert sa bouche, pointé son regard sur nous, tendu sa main, nous avons cherché à le classer, à le rapprocher des pauvres archétypes virtuels qui nous sont livrés clivages sur porte.

J’exagère, je m’emporte, j’hyperbole et pontifie, oui.

-Ne voudrais-tu pas t’exprimer plus simplement ? Que cherches-tu à nous dire ?

-Rien de bien original. Je parle ma langue, c’est comme ça. Chacun doit faire un bout du chemin.

-Nous t’offrons la parole, c’est notre part du chemin.

-Oui. Je cherche des mots pas trop usés, c’est difficile. Au fond, je crois que chaque personne, qu’elle vive dans la solitude grouillante d’une métropole ou dans l’isolement d’un village aux volets clos, souhaite, même à son corps et cœur défendant, rencontrer l’autre, vivre une douceur précise d’être ensemble, réapprendre à parler, à penser, à désirer. Sortir.

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