TRAVERSE

Vestiges

Vestiges

Régis Feugère

Vestiges dessine une dramaturgie de l’absence soigneusement orchestrée ; les objets, émouvants, dans leur simplicité, et comme disséqués dans leur solitude par l’œil du photographe, offrent au regard une intimité modeste, tout en retenue. Régis Feugère croise des souvenirs qui ne lui appartiennent pas et dont l’affolante proximité dit quelque chose des existences des Bagnérais. Ces vestiges, venus s’échouer sur la table patinée d’un ancien préau, délaissés par le monde qui s’écoule au-delà d’eux, apparaissent sous un jour onirique, sinistrement comique parfois — ainsi du balais ou du collier de chien — traces nostalgiques, vides appelant d’impossibles crépuscules. Nos histoires, comment les raconter ? C’est peut-être la question à laquelle, le photographe tente de répondre ici. Sa maîtrise parfaite du clair-obscur recueille religieusement ces objets dépourvus de qualité esthétique et on se demande avec lui combien d’infinis peuvent contenir les choses ?
On chemine au travers des intimités traversées par l’objectif. Dans l’ombre, nous voyons briller le cuir sombre, presque noir, d’une paire de souliers, la lame usée d’un opinel, ou le bois vétuste d’une vieille malle. La violente nostalgie de l’enfance est exprimée ici par un ours en peluche qui, pudique, nous tourne le dos ; au-dessus de l’objet, tout se suspend et s’appesantit. Contemplés peut-être par le fantôme d’un vieil homme ou par celui d’une fillette mal aimée, les natures mortes de Régis Feugère sont comme des fulgurances dans la lumière hallucinante du crépuscule. La palette d’un peintre, un panier, une brique reposent immobiles, gouttes d’éternité dans la lumière oubliée des chaudes soirées bagnéraises. Autour des outils vermoulus, des ustensiles défraîchis, les vies des absents défilent, sublimes dans leur intense modestie et autour d’elle, le temps se fige, l’instant d’un bref cliché.

Julie Nakache