TRAVERSE

édito janvier 2013- Carte Blanche à Eric Durnez

édito janvier 2013- Carte Blanche à Eric Durnez

La langue est une cour des miracles, les mots sont des filous. Vous leur confiez vos intuitions, vos émotions, vos demandes, vos pensées quelquefois, persuadé qu’ils les mèneront à bon port. Ils profitent de votre candeur pour les dévoyer, les accommoder, les détourner.

Prenons le mot « ici ». Voilà une anguille qui vous glisse entre les idées.

Perdu dans une ville, vous portez vos yeux sur un plan qui vous informe que « vous êtes ici », c’est-à-dire sur un point rouge. Vous regardez autour de vous et vous découvrez cet ici que vous allez bientôt quitter pour vous rendre où vous souhaitez aller, un endroit qui pour l’heure se nomme « là ». Cependant, quels que soient votre destination et votre itinéraire, où que vous soyez, vous serez toujours ici. Et quand vous aurez enfin trouvé votre chemin, que vous arriverez là, vous serez encore ici. Jusqu’ici (je pourrais dire jusque là), pas d’angoisse apparente. Mais c’est pourtant ici (là ?) que les problèmes commencent : peut on se trouver simultanément ici et là ?

Et quand le plan vous dit « vous êtes ici », que veut-il vous signifier ? Parle-t-il d’une localisation ou parle-t-il de votre identité ?

Qui êtes-vous ?

Je suis Ici.

En réalité, la différence entre ici et là, c’est la porte. Vous frappez. On vous répond « Qui est là ? ». Vous entrez, on vous dit « Vous ici ? »

Ici n’a pas l’élévation de . On dira ici-bas pour exprimer notre triste condition tandis que là-bas s’associera volontiers à l’idée d’un rêve, d’un avenir, d’un pré où l’herbe est plus tendre. De même vous entendrez parler de là-haut, jamais de ici-haut.

C’est inextricable. Vous débarquez quelque part en clamant « Je suis là ! Où êtes-vous ? ». La réponse ne se fait pas attendre « Par ici ! »

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *